Quand c’est à la fois obligatoire et interdit

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EDITORIAL

Afin de pouvoir réaliser leurs missions d’assistance aux personnes, vols de transport sanitaire,  lutte anti-incendie, travail aérien…les équipages de conduite d’hélicoptères doivent être formés puis accumuler de expérience.

La réglementation et le bon sens leur imposent de commencer par acquérir de la maturité en se voyant confier des missions simples. Ensuite, il leur faut maintenir leurs compétences en s’entraînant régulièrement. Les compagnies qui les emploient doivent contrôler régulièrement leurs capacités, ce qui est tout à fait normal et ne doit pas être remis en question. A l’exception notable des ULM, les procédures associées sont soumises à la validation par une autorité de contrôle souvent très pointilleuse.

Il ne s’agit pas de remettre en question ces principes, mais pour les exploitants, y satisfaire est devenu un véritable casse-tête.

Certes, l’utilisation des simulateurs se développe. C’est un outil intéressant, voire indispensable lorsqu’il s’agit d’entraîner les équipages à gérer des situations impossibles à exécuter en vol réel. Mais cela ne suffira jamais parce que rien ne saurait complètement remplacer l’entraînement à la gestion émotionnelle de la conduite d’un vol réel.

Alors comment réaliser le programme obligatoire d’entraînement hors ligne lorsque l’exécution des tours de piste, des vols de nuit et des autorotations est interdite sur tous les aérodromes d’une région au motif qu’il faut satisfaire sans concession aux exigences de riverains qui ne supportent que leur propre bruit, aux lamentations de certains élus locaux en quête de voix pour les prochaines élections et à la démagogie d’élus nationaux ?

Dès lors, organiser et planifier l’entraînement en prenant en compte les contraintes habituelles des compagnies (disponibilité des instructeurs et contrôleurs, disponibilité des hélicoptères, météo…) devient un véritable casse-tête pour les services opérations.

On observe un empilement de restrictions règlementaires émanant d’autorités diverses, européennes, nationales et régionales, compétentes dans des domaines variés, en lien ou pas avec la sécurité aérienne, décidées sans réelle concertation. Il est ainsi devenu de plus en plus compliqué de savoir qui peut faire quoi, qui contrôle qui et comment satisfaire aux exigences de l’entraînement et du maintien de compétence des équipages.

L’exemple de la loi 3DS est significatif. Les objectifs de ce texte portant sur « la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et diverses mesures de simplification de l’action publique locale« , semblent à première vue très éloignés des préoccupations du secteur professionnel de l’hélicoptère. Et pourtant l’absence d’analyse détaillée du projet et le manque de concertation avec les professionnels, conduit à l’interdiction des atterrissages en zone dites « montagne » à des fins dits « de loisirs« , que ce soit pour le pilote ou pour ses passagers, soit sur plus de 30% du territoire français. En toute rigueur, seuls les pilotes professionnels en mission réelle de secours ou de travail aérien seraient légitimes à se poser en secteur montagneux et aucun pilote privé n’a plus la possibilité d’être entraîné à le faire, ne serait-ce que pour assurer un posé sûr en cas d’imprévu. Les diverses autorités à l’origine de ce texte ont-elles conscience des conséquences de l’impact de telles dispositions sur les possibilités d’acquisition d’expérience pour les pilotes dans les environnements contraignants?

Nous sommes bien conscients d’être parfois considéré comme un secteur marginal du secteur aéronautique avec nos problèmes spécifiques et notre modeste pouvoir de persuasion sur le terrain social par rapport à certains autres secteurs. Mais il faut rappeler que nos hélicoptères assurent la majorité des interventions urgentes indispensables aux citoyens et à notre pays. Comme l’UFH l’a rappelé à plusieurs reprises, sans même parler des missions de secours, de sauvetage et de lutte contre les incendies, il ne se passe probablement pas une seule journée sans que l’hélicoptère n’ait été utile à chacun. Le simple fait de pouvoir monter dans un train, de regarder la télé, de prendre une douche, de téléphoner ou simplement d’allumer la lumière, implique le concours régulier des hélicoptères de travail aérien. Encore faut-il pour ce faire, disposer d’équipages qualifiés pour assurer les missions et à l’aise avec leur exécution.

Souhaitons que les puissances politiques, les divers secteurs des autorités nationales et européennes ainsi que l’EASA prennent enfin conscience de ce problème et de ses conséquences en termes de facteurs humains pour les collaborateurs des compagnies, et que soient menées des actions concrètes pour enrayer ces dérives. L’instauration d’une véritable concertation serait un premier pas dans la bonne direction. Mais surtout, plutôt que gérer les difficultés d’implémentation des textes avec des dérogations, il serait temps d’adopter une culture administrative compatible avec l’abandon de dispositions lorsqu’il apparaît que leur application pose plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Christophe Rosset – Président du SNEH – Coprésident de l’UFH

Thierry Couderc – Délégué Général de l’UFH – Vice-Président de l’EHA